Mes recherches portent notamment sur les champs de l’intervention sociale, de l’éducation populaire et de la formation des adultes, mobilisant des ancrages théoriques multiréférentielles et des méthodologies collaboratives. Je cherche à comprendre les pratiques du point de vue de leur potentiel émancipateur à l’égard des personnes et de territoires concernés, de leur dimension d’expérimentation, ainsi que de la place qui y prennent les émotions et l’intersubjectivité.
Mon activité de recherche a toujours été entremêlée à mon activité dans l’éducation, d’abord dans la petite enfance (dans des école de la ville de São Paulo), ensuite comme formatrice indépendante (1990-1998) et maîtresse de conférences (Université de São Paulo 1998-2005, Université Sorbonne Pairs Nord 2009-2023, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis depuis 2023). Elle s’appuie sur des études empiriques réalisées dans différents terrains et sur une posture d’engagement auprès des parties prenantes, à l’intérieur d’un paradigme qualitatif et compréhensif. Au fil de mon parcours, du Brésil à la France, mes préoccupations se sont déplacées du champ scolaire aux contextes éducatifs non-formels.
Se revendiquant d’une épistémologie « située », mes recherches s’engagent à donner la parole aux personnes concernées privilégiant des méthodologies qualitatives et collaboratives. Découle de cette perspective le souci de décrire et comprendre les pratiques telles qu’elles se déroulent dans des quartiers ou des structures du champ de l’intervention sociale, dans une dynamique de transformation sociale. Me revendiquant d’une perspective multiréférentielle, les points de vue de l’ethnométhodologie et de la phénoménologie sont des inspirations importantes de cet effort de description et compréhension, car il s’agit de donner à voir les actions et les interactions dans leurs dimensions concrètes et sensibles. L’association des praticien.nes dans cet exercice est une préoccupation présente dans toutes mes recherches, d’où ma préférence pour la recherche-action.
La visée émancipatrice qui guide ma conception de l’éducation guide aussi ma pratique de recherche, cette finalité influant sur mes choix méthodologiques et mon positionnement éthique face à aux terrains avec lesquels je collabore. Posée comme horizon d’une praxis, l’émancipation s’articule à la notion de pouvoir d’agir, à la fois conçue comme un point de vue capacitaire sur l’humain (dans le sens d’une agentivité) et un objectif à promouvoir à travers les pratiques d’intervention dans différents contextes. La notion de réflexivité – critique et impliquée – vue comme condition du pouvoir d’agir, en est également associée.
Actuellement mes recherches se déploient autour de deux thématiques principales.
Pratiques sociales et éducatives et prise en compte des territoires
Même si déjà présente dans ma pratique d’éducatrice, ma préoccupation avec l’inscription des pratiques éducatives dans son territoire s’est configurée à partir de mon expérience comme directrice de l’École d’Application de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de São Paulo (700 élèves, du primaire au lycée), entre 1998 – 2001. Cette école est située dans le campus de l’USP et il a fallu la penser à l’intérieur de cette presque ville (plus de 4.000m2) avec ses composantes et différents services. Aussi dédiée à la recherche, le point de vue de l’intérieur qui a été le mien a été très formateur pour consolider une posture de recherche au plus loin d’une posture « prédatrice » dans laquelle les chercheur·es voient le « terrain » comme un « réservoir de données » qu’il suffirait de « recueillir ».
https://econtents.bc.unicamp.br/inpec/index.php/ridphe/article/view/15957
L’intérêt pour la question des liens entre école et territoire a donné lieu à un projet de recherche mené sur la région où la France fait frontière avec le Brésil – la Guyane et l’Etat d’Amapá. Derrière l’interrogation commune concernant les manières dont les pratiques scolaires prennent en compte la diversité et s’inscrivent dans leurs territoires, j’ai pu faire la connaissance d’expériences contrastées : deux collèges dans la ville de Cayenne et deux écoles-famille agricoles dans les régions rurales de l’Amapá. Leur mise en résonance a mis au jour une relation entre les significations attribuées à la diversité et le tissage entre pratiques scolaires et les ressources du territoire dans lesquels celles-ci s’inscrivent : lorsque les frontières entre l’école et son environnement sont poreuses, la diversité sociale et culturelle est considéré une richesse (écoles en Amapa) et non un obstacle à l’action pédagogique (collèges de Cayenne).
https://journals.openedition.org/rfp/725
https://journals.openedition.org/osp/1307
Les recherche-actions-formations avec des acteur·ices du champ de l’intervention sociale, mises-œuvre avec Jean-Jacques Schaller, Université Paris 13, à partir de 2007, ont représenté une opportunité de consolider l’articulation entre cette thématique et des approches hybrides de recherche.
https://journals.openedition.org/sas/1513
Mon intérêt pour penser des pratiques capables d’identifier et renforcer le pouvoir d’agir des personnes et des groupes, en prenant en compte leur inscription sur les territoires est investi dans des projets qui prennent des formes différentes en fonction des parties prenantes et du cadre où s’inscrit la collaboration. Ces collaborations résultent de la volonté partagée de résister aux logiques gestionnaires et aux modes d’intervention standardisés et descendants qui creusent la relation de dissymétrie entre des experts et des personnes prises en charge souvent considérées par le prisme de leurs seules incapacités.
L’hypothèse que la recherche-action menée sur un territoire donné constitue pour les professionnel·les un « pas de côté » particulièrement fécond pour penser et transformer les pratiques a été au centre d’un article basé sur le récit du cheminement d’un groupe de praticien·nes-chercheur·es que j’ai pu accompagner, lors d’une première version de ce dispositif.
https://shs.cairn.info/revue-le-sujet-dans-la-cite-2013-1-page-127?lang=fr
Des exemples d’autres projets déployant cette démarche :
- Recherche-action « Pouvoir d’agir des habitants : les centres sociaux comme leviers d’émancipation sur le territoire », en collaboration avec la Fédération des Centres sociaux de Paris, financé dans le dispositif Partenariat institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation/PICRI de la Région Ile de France, de 2013 à 2016.
Suite à la sollicitation de la Fédération, nous avons élaboré ensemble le projet de financement et une équipe de recherche a été par la suite constituée avec des salarié.es de deux centres sociaux et socioculturels parisiens, sous ma responsabilité. Les territoires environnant les deux structures ont accueilli des expérimentations menées par les praticiens, avec l’accompagnement des chercheur.es universitaires (Université Sorbonne Paris Nord).
Depuis mon arrivée à l’Université Paris 8, je réinvesti cette démarche de recherche-action grâce à ma collaboration avec Pascal Nicolas-Le Strat, Louis Staritzky et Martine Bodineau, dans le cadre de l’atelier « recherche-action et intervention sociale », dans le Master 1 en Sciences de l’éducation, parcours Éducation tout au long de la vie.
- Collaboration avec le Tiers-lieu solidaire Les Grands Voisins
En 2017 j’ai fait la connaissance de ce tiers-lieu situé dans un ancien hôpital parisien à travers le chef de service d’un des centres d’hébergement qui s’y situaient, ancien étudiant d’un master professionnel de Paris 13 où j’intervenais. La créativité qui se dégageait de ce lieu transitoire et son ambition de se constituer comme lieu hybride – d’usages et de publics – ouvert sur le territoire rejoignaient mes préoccupations de recherche.
Dans ce contexte, j’ai répondu à la demande d’aide émanant du chef de service de ce centre d’hébergement pour préparer les équipes au déménagement de la structure (contraint par la nature temporaire de l’occupation). J’ai proposé un travail de mise en récit de la mémoire collective, dans une démarche qui a pris forme au fils de la collaboration (2017-2018). La réflexion sur cette démarche appuie l’hypothèse que la biographisation collective engendrée par le travail de mémoire change la position du groupe : d’une position passive face à un évènement inexorable sur lequel on n’a aucune prise, le groupe devient force de proposition pour mettre en valeur son histoire et le travail quotidien réalisé.
https://journals.openedition.org/questionsvives/5059
La réalisation de cette recherche-accompagnement s’est enrichie de l’observation participante du tiers-lieu où se situait le centre d’hébergement. La mise en commun de ma propre expérience ethnographique avec celle de deux autres collègues a donné lieu à une réflexion sur les formes que prennent les dynamiques de cohabitation instaurées dans le lieu et la manière dont elles contribuent à nourrir le pouvoir d’agir des personnes qui subissent l’urgence sociale.
https://shs.cairn.info/revue-le-sujet-dans-la-cite-2023-2-page-91?lang=fr
- Collaboration avec le Tiers-lieu solidaire Les Cinq Toits
Suite à nos collaborations autour des Grands Voisins, j’ai été sollicitée par la coordination du Tiers-Lieu solidaire Les Cinq Toits – porté par Aurore et Plateau Urbain – qui souhaitait mener une évaluation du projet, visant une prise de recul sur ce type d’expérience inscrivant des services d’hébergement dans un écosystème hybride et ouvert sur le territoire. Avec Elona Hoover, nous avons proposé une approche apprenante, ancrée dans les principes d’une évaluation participative, dont le processus est censé aider les personnes concernées à conceptualiser leurs pratiques, favoriser la réflexivité et la construction de sens. Le rapport résultant de ce travail (2022-2023) a été repris par l’équipe de coordination résultant dans un livret adressé à des acteurs de terrain et décideurs.
https://communemesure.fr/blog/les-cinq-toits-bilan-et-perspectives
L’article « Tiers-lieu solidaire et travail social : des pratiques professionnelles à l’épreuve de la rencontre », co-écrit avec Elona Hoover, sera publié dans les actes du colloque Tiers-lieux et politiques de solidarité, organisé par la Chaire de Sciences Po Rennes (sous presse). Nous y avançons l’idée que la vie quotidienne dans ce lieu hybride confronte le travail social à la centralité de la rencontre et favorise l’expérimentation de manières plus éthiques de concevoir et de mettre en œuvre l’accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité. Il en ressort une double signification à la rencontre, comme mise en présence et expérience.
Apprendre de l’expérience : formation de professionnel.les de l’intervention sociale
Cette thématique s’articule directement à ma pratique de formatrice et s’appuie sur des démarches basées sur le récit autobiographique mises en œuvre auprès des groupes en formation initiale ou continue. La réflexion que je mène à propos de ces expériences s’inscrit dans une position de praticienne-chercheuse, qui cherche à décrire et à conceptualiser sa pratique et à y interroger le sens.
Dans le souci d’inverser la tendance à la « rationalisation » prégnante dans le champs de l’intervention sociale et les formations qui en sont liées, nous avons conçu le récit d’investigation professionnelle/RIP, qui a remplacé le mémoire professionnel dans certains cursus de la licence et du master en sciences de l’éducation – parcours « Intervention et insertion sur le territoire » – de l’Université Sorbonne Paris Nord.
J’ai fait évoluer cette démarche en fonction des contextes de formation. Transposée en formation initiale, elle a pris notamment la forme d’un récit sur l’expérience scolaire et de formation, dans le cadre d’une licence professionnelle préparant aux métiers de l’animation, à l’IUT de Bobigny. Je la réinvesti actuellement dans un de mes cours dans la licence en sciences de l’éducation à l’université Paris 8 Vincennes–Saint-Denis.
Ces démarches de formation sont investies d’un double questionnement. D’une part, il s’agit d’interroger leurs effets formatifs : sollicité dans son pouvoir d’élaboration, de configuration et d’intelligibilité, en quoi le récit permet-il de construire une “connaissance” des pratiques et contribue-t-il au développement d’une réflexivité personnelle et professionnelle ?
D’autre part, l’interrogation porte sur les perspectives que ce type de démarche ouvre pour appréhender des univers sociaux et professionnels. En quoi des récits autour de l’expérience scolaire donnent à voir des enjeux qui touchent les pratiques scolaires ? En quoi des récits biographiques singuliers permettent d’appréhender les dimensions intrinsèques des métiers de la relation et comment reflètent-ils des dimensions conjoncturelles des contextes d’exercice professionnel ?
https://journals.openedition.org/sejed/8931
L’intérêt porté aux apprentissages issus de l’expérience s’est décliné dans une recherche en lien avec une voyage d’étude à l’étranger mis en œuvre dans la licence professionnelle « métiers de l’animation » (IUT de Bobigny), en partenariat avec l’Université Catholique des sciences sociales appliquées de Berlin/KHSB. Un financement obtenu auprès du secteur recherche de l’Office franco-allemand pour la jeunesse/OFAJ nous a permis de systématiser une réflexion à partir des récits produits par les étudiant·es suite aux voyages. L’analyse cherche à caractériser les formes prises par l’altérité dans l’expérience à l’étranger et à comprendre comment ce vécu et la réflexion qu’en font les étudiant·e·s contribue à leur formation.
https://shs.cairn.info/revue-journal-of-international-mobility-2023-1-page-75?lang=fr